CHAPITRE XV

Au volant, Jane se défendait honorablement. C’est-à-dire qu’elle grillait les feux rouges et les priorités avec la dextérité d’un chauffard irresponsable. Le fait d’être dans un fourgon de police, gyrophare en batterie, nous permettait d’user et abuser de la loi sans trop nous faire remarquer, aussi ma compagne ne s’en privait pas, allant même jusqu’à rouler à droite quand les encombrements étaient par trop importants.

Mais soit qu’il fût totalement inconscient, soit que sa rage l’empêchât de voir le danger, le colonel s’accrochait à nous avec l’opiniâtreté d’un chien de chasse à l’approche de l’hallali.

— Je n’y arriverai pas, dit enfin Jane. Cet enfoiré a été pilote de course dans sa jeunesse.

— Mais je croyais que ce n’était pas vraiment le colonel ?

— C’est la même chose. Cet autre enfoiré a absorbé tous les souvenirs du premier avant de prendre sa place, pour jouer son rôle à la perfection.

— Bon, très bien. Dans ces conditions, appliquons la deuxième partie du plan.

Je regardai autour de nous. Nous n’étions plus très loin du quartier de Bloomsbury. Là, nous ne devrions pas avoir de mal à trouver une librairie.

— Je récapitule, Jane. Promettez-moi de faire très exactement ce que je dis, car même si vous êtes hyper-entraînée, vous n’êtes encore qu’une novice dans ce domaine. Moi, je suis un spécialiste depuis des siècles.

J’ai toujours aimé utiliser au sens propre des expressions figurées, sans que personne s’en rende compte. De fait, Jane ne releva pas ma phrase, ou du moins pas pour cette raison-là.

— Nous appartenons au monde réel. Ne vous sentez pas obligé de parler par clichés.

— Les clichés sont des clichés parce qu’ils correspondent à une réalité, dis-je. Quant à appartenir au monde réel, je ne voudrais pas vous désappointer, mais… À gauche ! Vite, tournez à gauche ! Il y a une librairie au prochain coin de rue, je viens de m’en souvenir !

Faisant une queue-de-poisson à un taxi, dont le chauffeur nous injuria copieusement – policiers ou pas –, Jane m’obéit. Le colonel ne pouvait pas se permettre de nous perdre : il nous suivit, coupant une nouvelle fois la route du taxi, qui venait de redémarrer après un freinage titanesque. J’entendis un bruit de tôles brisées. Bingo ! Le colonel ne s’arrêterait certainement pas pour établir un constat, mais cet incident nous permettrait tout de même de gagner quelques secondes précieuses.

— N’oubliez pas ! rappelai-je. Foncez dans la librairie et précipitez-vous dans le premier bouquin que vous apercevrez. Le premier ! Toute hésitation pourrait nous être fatale.

Jane acquiesça, concentrée sur sa conduite.

— La librairie est là, dis-je, désignant une petite boutique dont l’enseigne bariolée affichait en lettres biscornues le mot GOSH ! Stoppez juste devant !

Dès que le fourgon s’immobilisa, j’en ouvris la portière et bondis à terre. Un coup d’œil vers le carrefour me confirma ce que je craignais : le colonel avait projeté le chauffeur du taxi sous les roues d’un autobus et remontait dans sa Rolls. Il serait à nos trousses d’un instant à l’autre.

Plus prompte que moi, Jane était déjà entrée dans la boutique lorsque je m’y engouffrai. Aussitôt, la réalité me donna deux gifles monumentales : la première quand je me rappelai – un peu tard – qu’il s’agissait d’une librairie spécialisée dans les comic-books ; la seconde, lorsque je constatai que Jane n’y était plus.

Assis derrière son comptoir, le vendeur me regardait paisiblement.

— Excusez-moi, vous n’avez pas vu entrer une jeune femme, il y a environ trois secondes et huit dixièmes ?

— Si fait.

— Où est-elle allée ?

— Elle s’est approchée de la table, là. Et puis elle a disparu. Si c’est pour un film, essayez de prendre mon profil gauche, c’est le…

Je ne l’écoutais plus. Jane avait suivi mes instructions un peu trop au pied de la lettre.

Comment étais-je supposé savoir quel comic-book elle avait choisi ?

L’examen de l’étalage me donna la réponse que je cherchais, sans pour autant me rassurer. L’un des magazines avait pour titre NYMPHO, QUEEN OF THE JUNGLE. On y voyait un village d’indigènes africains dont les habitants étaient réunis autour d’un autel de sacrifice. Sous le couteau qu’un prêtre s’apprêtait à abaisser, une jeune femme était allongée, garrottée, entièrement nue – ce qui commençait à devenir lassant : c’était Jane, un rien abîmée par un dessinateur dénué de talent.

J’entendis crisser les pneus de la Rolls à l’extérieur. Je n’avais pas le choix. Sous le regard éberlué du marchand, je fis appel au pouvoir. Je me laissai happer par les jungleries de carnaval au moment exact où le colonel entrait à son tour dans la librairie.

J’avais littéralement plongé au sein du comic-book, sans prendre le temps de me concentrer suffisamment. D’ordinaire je m’arrange au moins pour arriver au niveau du sol…

Je me rematérialisai à plusieurs dizaines de mètres au-dessus d’une jungle tropicale luxuriante, tombant la tête la première en chute libre.

— Merde, constatai-je.

Ne perdant cependant pas confiance en moi-même, j’effectuai un savant retournement avant d’atteindre la cime des arbres. Si je ne me trompais pas, bon nombre de recettes classiques devaient pouvoir s’appliquer dans un environnement pareil.

Effectivement la jungle était si dense que les branches entrelacées des arbres stoppèrent ma chute. De baobab en pommier du Japon[64], je dévalai encore une bonne quinzaine de mètres avant de réussir à saisir une branche solide. M’immobilisant brusquement, je crus que mes bras s’arrachaient. Un peu secoué, j’attendis un instant que tous mes esprits me reviennent, puis je me hissai sur la branche. J’étais encore loin du sol. Ma main se tendit d’instinct vers le tronc, cherchant la liane qui ne pouvait manquer de s’y trouver. J’avais toujours eu envie d’essayer ce mode de transport, mais n’en avait jamais eu l’occasion.

Croyant sincèrement que la chose était possible, je repérai une branche assez proche, un peu en contrebas et – liane serrée à deux mains – pris mon élan dans l’espoir un peu vain de m’y poser avec légèreté.

Réfléchissez un quart de seconde ! À moins de se servir de trapèzes – comme Johnny Weissmuller –, comment diable peut-on voyager de liane en liane ? Pourquoi celles-ci seraient-elles toujours positionnées pour vous emmener dans la direction souhaitée ?

La mienne ne l’était pas. En me jetant dans le vide, j’avais dans l’idée que j’allais suivre une course relativement droite. Aussi, lorsque je commençai à obliquer vers la gauche, tout en tournant sur moi-même comme une toupie, je perdis un peu les pédales. Un craquement sinistre me fit craindre que la liane ne rompe. Je m’y accrochai avec force, me faisant le plus léger possible. Mon bref parcours aérien s’acheva contre le tronc rugueux d’un cerisier géant, d’où s’enfuirent de nombreux singes piaillards. Presque assommé par le choc, je lâchai la liane et – éternel recommencement – la loi de la gravité l’emporta une fois de plus sur les aspirations humaines : je me remis à tomber.

Grâce aux branches basses, je ne repris cependant pas trop de vitesse et mon atterrissage sur l’humus africain ne me fit que l’effet d’avoir plongé dans une piscine dont un crétin aurait ôté l’eau[65]. Je dus perdre connaissance un instant… Toujours est-il que seuls mes réflexes de vieux baroudeur me signalèrent l’arrivée d’un homme. Le bruit d’une brindille écrasée pénétrant dans mon subconscient mit en marche mon dispositif d’alerte. Instantanément conscient, je me redressai pour faire face à l’adversité.

Annulant tout le bénéfice du processus décrit ci-dessus, l’adversité se présentait sous la forme d’un militaire corpulent pointant sur moi un fusil à éléphants.

— Très originale, votre tentative de fuite, mon petit Chris, dit le colonel. Mais vous ignoriez peut-être que je pouvais vous suivre ?

— Colonel, il est possible que j’aie manqué de style, ces derniers temps, mais faites-moi au moins la grâce de ne pas me croire complètement stupide. De plus, je n’accepte aucune remarque de la part d’un archétype !

— Un quoi ? Vous oseriez répéter ça ?

— Un archétype ! L’extraterrestre, surtout arcturien, qui vient préparer la conquête de la Terre, c’est archirebattu.

Je le vis rougir. Il m’aurait probablement accablé d’un chapelet d’injures, allant peut-être même jusqu’à presser la détente, si, à cet instant, les tambours n’avaient commencé à battre. Ils résonnaient autour de nous, à une distance difficile à déterminer, mais pas assez loin pour encourager l’insouciance.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? interrogea le colonel.

— Sans doute une manifestation quelconque du scénario. C’est la première fois que vous pénétrez dans un livre ? Je vous souhaite bien du plaisir, Gros Nounours…

— Je vais vous tuer, Malet ! dit-il, relevant le canon de son arme. Ensuite je n’aurai plus qu’à sortir de ce bordel. Quant à cette garce de Guylaine… J’espère qu’elle y crèvera. Adieu, mon petit Chris. Je regrette que vous ne puissiez être présent à l’heure de mon triomphe.

— Félicitations ! Vous êtes nettement en deçà du nombre de lignes moyen qu’il faut à un méchant typique pour expliquer ses plans au héros avant de l’abattre.

Je parlais pour gagner du temps, me demandant bien comment j’allais me tirer de ce mauvais pas. Au moment où son doigt enfonçait la détente, le colonel fut frappé à la gorge par une fléchette. La balle se perdit dans la poussière. Mon ex-supérieur s’effondra, inconscient. La chance me souriait enfin. Une seule chose faisait réellement obstacle à ma bonne humeur : la fléchette qui venait de s’enfoncer dans ma jambe gauche.

Le poison était rapide. Souhaitant qu’il s’agisse seulement d’un anesthésique, je sombrai dans l’inconscience pour la deuxième fois en cinq minutes.

*

Il ne s’agissait que d’un anesthésique. Je me réveillai debout, attaché à un poteau de torture. Non loin de moi, lié à un tronc d’arbre similaire, le colonel venait lui aussi d’émerger.

— L’invasion de la Terre a l’air compromise, hein ? raillai-je, faussement jovial.

Il ne daigna pas répondre. Autour de nous, les tambours résonnaient toujours. Plusieurs dizaines d’indigènes dansaient en cadence au-dessus des feux de camp. Des pygmées, comme on aurait pu s’y attendre.

Devant les deux poteaux de torture s’étendait l’autel que j’avais vu sur la couverture du magazine. Et sur l’autel s’étendait Jane, sur la nudité de laquelle je ne m’étendrai pas.

Le prêtre – on voyait que c’était le prêtre parce qu’il avait des plumes de paon là où les autres avaient un os : dans le nez, les oreilles, etc. – s’avança vers nous et nous adressa la parole en petit nègre :

— Homme blanc tuer nous ! Nympho, reine de la jungle, avoir détruit village de nos pères. Nous tuer femme blanche et dévorer son cœur. Ensuite, nous tuer hommes blancs, lentement… Bourreau à nous avoir fait stage Extrême-Orient pour apprendre tortures subtiles… Vous mourir quand tambour cesser de battre !

— Je vous propose une alliance, Chris, dit très vite le colonel. Battons-nous ensemble jusqu’à ce que nous soyons sortis de cette merde !

— Vous avez une idée ?

— Si j’avais une idée, je ne vous proposerais pas d’alliance, espèce de demeuré. Je compte sur vous !

— Méfiez-vous de lui, Chris, intervint Jane, allongée sur son autel. Il essaie de vous embrouiller.

— J’ai trouvé, déclarai-je au colonel. Essayez d’imiter le cri de l’alligator femelle pour qu’un mâle vienne ronger vos liens !

Pendant ce temps, le prêtre s’était rapproché de l’autel, avait saisi le couteau sacrificiel. Je vis la lame acérée luire au-dessus de la poitrine de Jane. Comme un taureau furieux, je tirai sur mes liens, cherchant vainement à les rompre.

— Bon Dieu ! Il arrive, ce coup de théâtre, oui ? m’exclamai-je à bout de nerfs.

— Pas la peine de beugler comme ça, homme impatient, dit une voix derrière moi. Nympho, reine de la jungle, est là pour te sauver. À condition que tu acceptes de partager sa couche après avoir tiré les rideaux de la case.

— Pourquoi les rideaux ?

— Nous sommes dans une publication pour jeunes.

— Très bien, je promets.

— Je vais trancher tes liens.

Je sentis un couteau s’attaquer aux cordes qui m’entravaient les poignets. Lorsqu’elles cédèrent, je me jetai en avant pour bousculer le prêtre qui se préparait à tuer Jane. La terre se précipita à la rencontre de mon visage.

— Homme impatient a oublié qu’il était aussi attaché par les chevilles, souffla la voix de Nympho, tandis qu’on coupait mes derniers liens.

Etonnés par mon exhibition, les cannibales se figèrent l’espace de quelques secondes. Cela me suffit pour bondir au-dessus de l’autel. Je percutai la cage thoracique du prêtre avec le sommet de mon crâne. Il se plia en deux avec un « whooff ! » étouffé. Je l’achevai d’un grand coup derrière la nuque, puis lui pris son couteau. J’allais entreprendre de délivrer Jane, lorsque le cercle des pygmées se referma sur nous.

— Tirez-vous, Chris ! hurla la jeune femme. Vous ne réussirez jamais à m’emmener, maintenant.

— Ta gueule, femelle ! dit le colonel, libre lui aussi, en venant se ranger à mes côtés. Tu vas voir ce que c’est, des hommes, des vrais !

— Vous avez raison. Moi aussi, j’ai toujours détesté les héroïnes pleurnichardes ! renchérit Nympho, sortant en pleine lumière.

Pour gagner du temps, je dirai simplement qu’il s’agissait d’une reine de la jungle standard, façon Sheena. En la voyant, les indigènes eurent un mouvement de recul. Certains se voilèrent même la face en criant qu’il s’agissait d’un démon.

— Comment réussissez-vous à les subjuguer ainsi ? m’informai-je, mettant à profit l’interruption pour trancher les liens de Jane.

— Depuis Tarzan, la recette se transmet de seigneur de la jungle en fille des babouins. Mais ça ne dure jamais longtemps. Je crains que nous ne soyons obligés de nous battre…

— Comme au Viêt-Nam[66] ! cria le colonel en se ruant dans la mêlée sans que personne ne lui ait rien demandé.

J’écartai d’un coup de poing le premier pygmée qui se jeta sur moi. Le second reçut mon genou dans un endroit sensible. Comme il s’effondrait, je lui arrachai son pagne et le tendis à Jane.

— Tenez ! Mettez ça ! Il paraît que nous sommes dans une publication pour jeunes. Je ne comprends pas qu’on vous ait retiré vos vêtements.

— C’est moi qui les ai enlevés. J’ai pensé que ça plairait davantage au public… Attention !

Son avertissement me permit de dévier la sagaie qui visait mes reins. Assommant proprement son possesseur, je m’emparai de l’arme.

Le colonel et Nympho avaient procédé à une manœuvre similaire. Ce qui s’ensuivit ne fut qu’une inhumaine boucherie, dont je tairai les détails. Tandis que, légèrement à l’écart, vêtue d’un pagne qui ne couvrait pas ses appas les plus évidents, Jane nous regardait en souriant, se contentant de balancer de temps à autre un grand coup de pied dans les dents des pygmées qui s’approchaient trop d’elle, le colonel, Nympho et moi-même massacrions à bras raccourcis de pauvres êtres uniquement créés pour subir cette fin abrupte.

— Ce scénariste est un putain de salopard ! m’exclamai-je entre deux coups de sagaie.

— Surveillez votre langage, Chris ! m’admonesta le colonel, ouvrant le ventre d’un cannibale et en extirpant les intestins pour faire des papillotes. Songez à nos jeunes lecteurs !

— Vous, vos conseils, vous pouvez les peindre en vert et vous les fourrer dans l’artère fémorale en touillant bien jusqu’à ce que ça fasse des bulles ! Vertes, de préférence !

À cet instant, la scène se figea. Les tambours cessèrent de battre, les indigènes de hurler et de se précipiter sur nous, le feu de brûler. Une obscurité et un silence inquiétants s’abattirent sur nous. Puis j’entendis un cri étouffé.

— Il y a quelqu’un ? dis-je.

— Je suis là, Chris, dit Jane près de moi.

— Mgmgmgmgmg…, dit le colonel.

— Ignobles moisissures dégoulinantes, vous allez cesser de nuire ! dit une voix qui, bien qu’inconnue, n’en était pas plus sympathique pour autant.

— Lumière ! demandai-je.

— À votre guise…

Une lueur ténue naquit dans l’un des foyers. Totalement surnaturelle, elle s’enfla, s’amplifia, jusqu’à illuminer tout le village. Rien ne bougeait, ni choses, ni hommes, ni bêtes. À l’exception d’un individu de grande taille, blanc, barbu et doté d’un regard mauvais à faire frémir les héros les plus braves. Il portait sous un bras une machine à écrire manuelle, sous l’autre la tête du colonel qu’il avait enserrée en un étau gracieux.

— Qui êtes-vous ? interrogeai-je.

— Ce serait plutôt à moi de poser la question. Je suis le scénariste de ce comic-book, mon jeune ami, et j’aimerais bien comprendre ce qui se passe ici. D’abord on donne dans le sexe, ensuite dans la violence irréfléchie et maintenant on m’insulte grossièrement. Si ça continue, on va me refuser le comic’s code ! Heureusement, j’ai réussi à arrêter le temps et à venir en personne. Vous allez être désintégrés, mes pigeons…

Sa main s’approcha du clavier de la machine à écrire. Je frémis. Contre un auteur, je ne pouvais rien, personne ne pouvait rien ; à part peut-être…

— Ecartez-vous, Chris, dit la voix de Pagel, derrière moi. Vous n’avez pas la moindre idée de son pouvoir…

Je cédai le passage à « mon » auteur qui portait en bandoulière un volumineux sac de cuir noir.

— Qu’est-ce que c’est que ce barda ?

— J’ai échangé mon stylo-plume contre un ordinateur à traitement de texte. Ça gagne du temps, mais c’est un peu encombrant pour les déplacements.

Il se tourna vers le scénariste.

— Holà, maraud ! Je suis ton maître et je t’ordonne de laisser en paix ces êtres qui, tout comme toi, sont mes créatures !

— Et quoi encore ? Dégaine, bâtard ! rétorqua le barbu.

— Filez, Chris ! me souffla Pagel en sortant du sac le clavier de son ordinateur. Je me charge de ce braillard. Je vais te me l’expédier dans un jeu vidéo, ça va pas traîner.

Le scénariste, malgré son énervement, n’avait pas lâché la tête du colonel. C’était peut-être notre chance…

— Venez ! criai-je à Jane. Par ici !

Je l’attirai dans la première case venue et la pris dans mes bras.

— Qu’est-ce qui vous prend, imbécile ? Vous croyez que c’est le moment de…

— Taisez-vous ! Nous allons sauter une génération, tout de suite ! Cela me demande une énergie exceptionnelle et, si je veux avoir une chance de vous emmener avec moi, il est impératif que nous soyons en contact étroit. Alors, fermez les yeux, imaginez que vous dansez un slow avec Robert Redford et laissez-moi opérer ! Vu ?

Elle s’enferma dans un silence buté. L’ignorant, je commençai à me concentrer. J’entendis encore le cri d’agonie du scénariste de comic-booksy celui de rage que poussa le colonel en retrouvant sa liberté, puis le pouvoir afflua en moi, me submergea. Je le laissai m’emplir comme le courant emplit un accumulateur. Une seconde, je craignis de ne pouvoir supporter l’intensité dont j’avais besoin. Jamais encore je n’étais allé aussi loin ! Lorsque je me sentis sur le point d’exploser, je relâchai mon énergie, me projetant hors du comic-book puis plongeant dans le non-univers pour y chercher l’entrée de ce que j’appelais encore le monde réel.